Pour ce septième épisode l’équipe des Gones en Strip est accompagnée d'Olivier Jourray, scénariste de la bande dessinée Bob Denard, le dernier mercenaire. Nous accueillons à ses côtés Jonathan de la librairie L'expérience.

 

BENJAMIN : Est-ce que tu peux nous en dire un peu plus sur cette librairie ?

 

JONATHAN : Oui, tout à fait. La librairie expérience est une librairie qui existe depuis 1973, donc c'est une vieille librairie lyonnaise spécialisée dans la bande dessinée depuis toujours. Elle est située place Antonin Poncet, en plein centre de Lyon, juste en face de la Grande Poste.

 

BENJAMIN : Quelle est la particularité de la librairie l'expérience ?

 

JONATHAN : Les locaux sont plutôt curieux et atypiques, évidemment, car on est installé dans un bâtiment dans un petit local un peu enterré. Il faut descendre quelques marches pour venir nous voir. Il y a des voûtes un peu partout dans la librairie, qui sont intégralement dédicacés.

 

BENJAMIN : La librairie l'expérience ne fait pas que vendre des livres ?

 

JONATHAN :  Effectivement, on fabrique aussi des images, car on est aussi artisans sérigraphes. Donc on a toute une grosse activité de sérigraphie et donc de vente de sérigraphie. Puis, après plein d'autres projets divers et variés.

 

BENJAMIN : La sérigraphie, ça fait partie un peu de ces à côté de la bande dessinée qu'on appelle les para B.D. Les fans en sont friands. Est-ce que tu peux nous expliquer rapidement ce que c'est que la sérigraphie ?

 

JONATHAN :  Alors, c'est un procédé d'impression assez particulier, assez artisanal. C'est un système d'impression par couleurs superposées. C’est le système de pochoir ou de manière très manuelle on imprime la première couleur, puis le bleu, puis le rouge, puis le vert, et ainsi de suite, en superposant pour faire apparaître évidemment le dessin final.

BENJAMIN : C'est donc le moment, Jonathan, de lire ta chronique, celle qui tache les dents rouges et qui donne envie de se mettre au coin de la cheminée avec une bonne bande dessinée dans les mains. C'est décembre, il neige et c'est l'actu praline.

 

JONATHAN : Il s’agit donc de Bob Denard, scénarisé par Olivier Jouvray, dessiné par la très talentueuse Lilas Cognet : Bob Denard, le dernier mercenaire paru aux éditions Glénat. Bob Denard, c'est un personnage assez curieux, que peu de gens connaissent. Le personnage est né en 1929. Il est fils de militaire. C'est un personnage qui était trop jeune à l'époque pour faire la Seconde Guerre mondiale. Il a fait quelque acte de résistance à la toute fin de la guerre, mais on sent un personnage qui, à cause de son papa, avait très envie d'être militaire de carrière, de s'inscrire vraiment dans une tradition familiale. Il a d'abord commencé en tant qu'officier dans la marine. Puis, il a quitté l'armée. Il a ensuite été emprisonné pour de sombres affaires que vous découvrirez en lisant l'album.

 

Après ça il est revenu en tant que mercenaire pour le gouvernement français. C'est un personnage qui a connu à peu près tous les conflits dans lequel la France a pris part : l'Indochine, le Yémen, l'Iran, le Katanga qui est devenu ensuite le Congo, le Nigeria, l'Angola, le Bénin, les Comores et j'en passe. Bref, Bob Denard est de tous les conflits. De temps en temps, de manière assez officielle, très souvent de manière officieuse. On lui donne l'accord de faire pas mal de choses. À travers l'histoire de ce fameux mercenaire qui, au démarrage, apparaît un peu comme un salopard, on découvre un personnage assez complexe, pro guerre et en même temps, on sent qu'il est tiraillé par pas mal de choses. C'est finalement grâce à ce personnage qu'on va découvrir toute l'histoire des Affaires étrangères, de ce que la France pouvait établir comme lien avec évidemment certaines de ses colonie : des liens économiques, des enjeux politiques, des alliances, des trahisons. Rien n'arrêtait Bob Denard. La France commanditait et généralement Bob exécutait. C'est un personnage avec beaucoup de facettes. On va les découvrir au fur à mesure de l'album.

 

Il faut aussi parler, évidemment, du dessin de Lilas. Il s’agit d’une jeune dessinatrice, ancienne étudiante d’Emile Cohl. Le dessin est assez incroyable et tranche un peu avec ce genre de récit où on peut s'attendre à un dessin un peu plus traditionnel, un peu plus guerrier. Là, on a un dessin qui va complètement à l'encontre de ça. Très influencé par, justement, pas mal de styles. On retrouve un peu du Jacques de Loustal, dans l'esprit. Ces dessins sont très influencés par l'illustration. Ce qui amène un contrepied un peu différent par rapport à ce qu'on peut voir avec ce genre de récit autour de l'espionnage, de l’historique. C'est en tout cas un personnage assez incroyable, une bande dessinée vraiment captivante. J'ai une question pour toi, Olivier : où est-ce que tu as rencontré ce fameux personnage de Bob Denard ? Parce qu'évidemment, c'est un personnage dont on ne sait pas grand-chose. La fiche Wikipédia est un peu restreinte.

OLIVIER : C'est un personnage qui a défrayé la chronique régulièrement entre les années 80 et 90, parce qu'il apparaissait dans les médias comme étant le mercenaire français qui intervenait sur différents terrains militaires, terrains de conflits dans différents coins de l'Afrique.

 

Effectivement, ce n’est pas toujours évident de savoir comment il a vécu, ce qu'il a fait parce que dans tous les récits qui le concernent. Il y a des récits qui sont de son propre fait. Il a écrit ses mémoires. Il y a des récits des hommes qui ont travaillé avec lui. Il y a des récits de journalistes qui ont écrit et il y a aussi des choses qui sont inventées. Au sens où beaucoup de gens prétendent l’avoir connu, l'avoir vue, l'avoir côtoyé, avoir été sur les mêmes terrains. Bref, c'est une histoire romancée d'elle-même. Bob Denard fait partie de ces personnages qui ont émaillé l'histoire de la seconde moitié du XXᵉ siècle. Ces jeunes aventuriers qui ont parcouru le monde pour différentes raisons et qui avaient envie de faire de leur vie un roman. Donc, ce n'est pas toujours évident de trier tout ça. Moi, comment je l'ai rencontré ? Je suis né en 70, donc j'ai entendu ce nom de temps en temps dans les médias. Il est décédé en 2007.

 

Il faut savoir que Bob Denard il a fait des coups d'Etat aux Comores. Les Comores est un ensemble d’îles qui se trouve entre Madagascar et l'Afrique du Sud, dans le canal du Mozambique. Il a fait ses coups d'État au bout d'un moment, et à force d’en faire -parce qu'il en a fait plusieurs là-bas- il a décidé de s'installer et il est devenu une espèce de vice-roi des Comores. C'est comme ça qu'on l'a surnommé, que les journalistes l'ont surnommé parce qu'il était un peu le ministre de tout. Il s'occupait d'économie, de tourisme, etc. Bref, il avait son île pour ces mercenaires et toute sa bande. Il a eu une importance capitale pour ce pays, pour ce territoire. Je suis allé aux Comores en avril 2007, justement, où j'ai accompagné une mission scientifique de volcanologues pour la chaîne Arte. C'est là-bas qu'on m'a parlé de Bob Denard. Jusqu'à la fin du séjour, on a survolé l'île avec un petit avion et c'est le pilote qui nous a montré la villa dans laquelle vivait Bob Denard à l'époque.

« Je voulais raconter toute son histoire : de son enfance jusqu'à sa mort. »

 

 

Il est décédé quelques mois après, en octobre 2007. Il est donc réapparu dans les médias. C'est à ce moment-là que j'ai commencé à lire quelques articles pour m'intéresser un peu à ce personnage que j'ai trouvé assez intéressant parce qu'à travers lui, c'est effectivement une grande partie de l'histoire de la seconde moitié du XXᵉ siècle qui concerne la France et son rapport à l'Afrique qui était racontée, et plus largement la guerre froide. Ce sont des sujets qui m'intéressaient parce que qu'on ne nous les a pas enseignés à l'école. Ils étaient complètement mis sous le tapis ou en tout cas racontés de manière très succincte.

 

Mais j'ai gardé ça dans un coin de ma tête et il y a trois ans, Aurélien du Coudray (scénariste de bande dessinée), qui est un des deux directeurs artistiques de la collection Karma -qui accompagne Olivier Jalabert sur la création de cette collection- m'a appelé en me disant : est-ce que ça dit de faire un bouquin dans cette collection de biographies ? Je lui ai dit que ça dépendait du personnage. Et donc il m’a parlé de Bob Denard. J'ai dit OK, je le fais direct.

 

Aurélien m'a dit que je pouvais raconter une partie de sa vie parce que parce qu'il a eu une vie tellement riche que de faire ça en 130 pages, ça sera un peu compliqué. Je lui ai dit que je voulais raconter toute son histoire : de son enfance jusqu'à sa mort. Je raconter toute sa vie parce que justement, ça englobe la Seconde Guerre mondiale et toutes les répliques. Je parle du terme réplique comme on en parle pour les tremblements de terre. Quand il y a un tremblement de terre, il y a des répliques ensuite. Et bien après la Seconde Guerre mondiale, il y a des répliques des séismes multiples à travers la planète, dont on sent encore les secousses aujourd'hui. C’est ça dont je voulais parler à travers lui.

BENJAMIN : Comment tu as fait pour trouver les informations sur son enfance ? Tu disais qu'il y avait des récits qui ont été écrits par lui-même mais j'imagine que tu as dû faire un travail de vérité et trouver ce qui était juste, ce qui l'était moins, ce qui était de l'ordre de l'imaginaire ? Est-ce que tu es allé chercher des personnes qui le connaissaient ? Est-ce que tu as rencontré des gens qui avaient réellement ravaillé avec lui ou ça a été un travail d'archives ?

 

OLIVIER : Je n'ai pas voulu rencontrer de personnes qu'il avait connues, parce que c'est très difficile de savoir à qui on a affaire. Quelle est la part de vérité dans ce qui est raconté ? Donc, le témoignage ne m'intéressait pas. Le problème, c'était non pas le manque d'écrits, mais le trop d'écrits et d'arriver à savoir qu'est-ce qui était vrai, qu'est ce qui était faux dans tout ça. Je précise que je n'ai pas fait un bouquin d'historien. Je ne suis pas historien, je ne suis pas scientifique. J'ai fait un bouquin qui parle de ce qu'on sait de la vie de Bob Denard, de ce qu'il a dit lui-même, de ce qui a été rapporté par des journalistes, par des gens qui ont vraiment étudié la question. J'ai aussi travaillé sur d'autres types de documents qui parlent du mercenariat en général, de la Françafrique, du rapport entre de Gaulles, le réseau Foccart, l'affaire Elf Aquitaine et tout ce qui était mis en place. Toutes les histoires de pétrole, d'uranium. J'ai fait des recherches sur tous ces sujets pour avoir une vision à peu près globale de ce sujet. Si j’ai travaillé avec Lilas Cognet, c'est non seulement parce que la collection demande un dessin qui ne soit pas réaliste, mais au contraire qu'il soit plus proche d'une expression artistique originale. Ça m'allait très bien parce que, justement, ça permet de travailler proche de la métaphore, de la symbolique. On parle d'un certain nombre de sujets qui sont assez complexes. On n'essaye pas de transformer le lecteur en spécialiste de la Françafrique, mais on essaie de lui faire comprendre ce que c'était et comment ça fonctionnait. Comment on a réussi à comprendre depuis un certain nombre d'années -parce qu'un certain nombre de secrets ont été levés- la responsabilité du gouvernement français dans l'Etat de l'Afrique aujourd'hui.

 

Je n'ai pas été obligé d'aller faire des enquêtes de terrain puisque ce n'est pas mon métier. J'ai fait des enquêtes sur énormément d'écrits en ligne, papiers, des archives de journaux etc. Au milieu de tout ça j'ai fait mon histoire. Je dis bien dans le bouquin que le Bob Denard dont je parle, c'est ce que j'ai pu apprendre du personnage. Mais le vrai Bob Denard, il n’y a que Bob Denard qui le connaissait réellement.

 

C'est un personnage qui est, effectivement, à la fois guerrier mais aussi qui a une part romantique très importante parce qu'il s'est rêvé comme aventurier. Je le dis dans le bouquin, les années 60/70 ont cette particularité où le monde s'est rétréci d'un coup. La technologie, qui a évolué fortement pour les transports avec la Seconde Guerre mondiale, ont permis le développement de l'avion, du train, des véhicules et tout ce qu'on voulait. Du coup toute une génération de jeunes ont foutu le camp à travers la planète pour différentes raisons. Selon sa culture d'origine on allait faire les french doctors en mer de Chine pour sauver des boat people et on a vu émerger toutes les premières grandes ONG humanitaires. On en avait d'autres qui partaient à l'aventure avec des militaires, avec l'armée régulière ou en tant que mercenaires. Il y en a d'autres qui partaient découvrir des mondes parallèles à Katmandou, ou simplement se balader avec un sac à dos pour redécouvrir la vastitude du monde. C'est une période un peu particulière et lui s'inscrit là-dedans.

 

C'est un aventurier. On parle souvent des mercenaires comme des gens qui étaient assoiffés d'argent. Ce n'est pas le cas. C'est plus l'aventure et cette espèce de fratrie virile, entre les autres mercenaires, qui est importante pour eux.

FLORE : Je voudrais revenir un tout petit peu sur ce que tu disais dans le parti pris de la façon de travailler avec Lilas, parce que moi, c'est ce qui m'a complètement enchanté dans cette bande dessinée. Je crois que ça rejoint ce que disait Jonathan : ce n'est pas un cours d'Histoire. On n'est pas des étudiant(e)s en train de lire un livre d'Histoire avec des images pour nous faire passer quelque chose case par case. On est dans quelque chose de documenté, mais on est également là pour être dans un univers. D'ailleurs, le dessin de Lilas, il est complètement surnaturel. Il est assez incroyable. Je me demandais si, parfois, tu avais cherché à la freiner. Jonathan, tu donnais tout à l’heure des influences de bandes dessinées. Et bien moi je suis partie vachement plus loin. Il y a du cubisme dans ce qu'elle fait, il y a des plans, on voit les personnages du dessus, on voit leurs yeux globuleux. C'est absolument impossible. On voit des nez, des profils. Tout est fait pour nous éloigner de la photographie pour au contraire, nous plonger dans le dérangeant, quitte à avoir des personnages qui arrivent et qui ne sont pas du tout humains. D'abord, ce sont des diablotins. À un moment donné, ce sont même des robots. C'est incroyable. Je me demandais si parfois tu devais freiner Lilas en lui disant « Attends là, tu vas trop loin ! »

 

OLIVIER : Non, jamais. C'est justement pour ça que je voulais travailler avec Lilas. C'est une éponge à influence. Elle a une culture graphique qui est exceptionnelle puisque dès qu'elle voit et lit quelque chose, elle l'absorbe. Elle l'intègre dans son travail et elle a un dessin qui, de temps en temps, peut donner à voir. Mais la plupart du temps donne à ressentir. C'est ça l'idée : aller chercher des représentations qui vont accompagner le texte. Moi, je n'ai pas écrit le texte d’un trait en lui disant de se débrouiller. J’ai écrit le synopsis en entier : qu'est-ce que je voulais dire dans chaque chapitre, je l'ai structuré, ce squelette d'histoire, en essayant de travailler sur la rythmique de l'ensemble de l'histoire. J'ai intercalé des moments d'informations contextuelles. C'est-à-dire qu'il y a des notions qu'on ne peut pas comprendre. Par exemple si je n’explique pas le conflit en Indochine, le réseau Foccart, la guerre froide... C’est compliqué.

 

Entre tout ça, Lilas a posé ses pinceaux de temps en temps. Je lui faisais des suggestions de mise en scène. Je disais tiens, on peut travailler ça. On peut travailler de telle manière. Généralement, ce qu'elle me donnait était dix fois plus improbable et inattendu et surprenant que ce que j'avais imaginé. Il y a aussi plein d'autres endroits où je la laisse complètement décider de la manière dont elle va représenter les choses.

 

Moi, ma manière d'écrire, c'est toujours pour quelqu'un. Je n’écris pas dans mon coin, j'écris pour une personne et pour son dessin, mais j'ai besoin de connaître sa manière de représenter les choses pour pouvoir écrire. Et je limite mon écriture en définissant un nombre de moments dans la page. Il y a cinq ou six moments par page. Généralement un moment c'est une ligne ou deux lignes de dialogue. Parfois, il y a des indications de ce qu'on doit voir. Je lui donne énormément de documentation photographique que je recherche de partout pour qu'elle sache à quoi ressemble le bateau, la voiture, une arme ou je ne sais quel véhicule. À partir de ça, elle, elle brode, elle imagine des choses et elle faisait des storyboard. De temps en temps, je lui disais parfait, c’est niquel, ça marche extrêmement bien par rapport à ce que j'aimerais faire passer. D'autres fois, c'est parce que je m'étais mal exprimé, je n'ai pas assez bien fait passer ce que je voulais dire. D'autres fois, c'est parce qu'elle n'a pas forcément compris ce que je voulais dire.

 

C'est un dialogue permanent pour chaque planche jusqu'à ce qu'on soit complètement satisfait du résultat. Là, ça va vraiment au-delà de ce que j'imaginais. C’est un dessin particulier.

« Mais le vrai Bob Denard, il n’y a que Bob Denard qui le connaissait réellement. . »

BENJAMIN : Jonathan, toi qui es libraire, c'est un album que tu vas conseiller pour Noël ?

 

JONATHAN :  C'est un album qu'on va fortement conseiller sous le sapin avec beaucoup de ses confrères, car ils seront très nombreux en cette fin d'année, comme d'habitude.

 

BENJAMIN : Olivier, il y a un autre album dont j'aimerais qu'on parle, que tu as réalisé il y a quelque temps. C'est un album que j'ai adoré. C’est peut-être celui qui est le plus personnel. Tu vois duquel je parle ?

 

OLIVIER :  Je pense que c’est Nous ne serons jamais des héros.

 

BENJAMIN : Exactement. Je trouve que cet album est un peu en dehors de tout ce que tu as pu faire. Comment est née l’envie de réaliser cet album ?

 

OLIVIER :  C'est un bouquin que j'ai fait aux Éditions du Lombard autour de 2010 dans la collection Signé avec Frédérik Salsedo au dessin et son frère Greg Salsedo à la couleur. Cet album raconte le voyage autour du monde d'un père et de son fils. Ce père qui n'est pas bien physiquement, qui est malade, mais au point que ça fait de lui un vieux schnock pénible, aigri. Son fils, lui c'est un glandu, il passe son temps à se regarder les cheveux pousser et qui ne fait rien de sa vie, mais il accepte de partir avec son père. Son père est veuf. Il a eu un accident. C'est comme ça qu'il s'est retrouvé dans cet état là et que sa femme est décédée. Il n'a jamais retrouvé le bonheur depuis. Comme il a hérité d’un peu d’argent, il décide de faire le tour des lieux qu'il a visité plus jeune avec sa femme. Il va donc revisiter ces lieux d'un bonheur perdu.

 

Ce père a besoin d'être accompagné mais il ne veut pas être accompagné d'un infirmier ou d’un inconnu, il dit à son fils : tu ne fais rien, je te file de l’argent pour que tu sois mon esclave (en gros) pendant le temps du voyage. Et puis après, tu feras bien ce que tu veux de cet argent-là. Ils partent donc tous les deux autour du monde. J’ai donc voulu travailler de cette relation entre ce père et ce fils.

BENJAMIN : Je trouve que cet album est extrêmement juste dans les sentiments entre ces deux personnages. On se dit que c’est une histoire que tu as vécue. Pourtant, ce n’est pas le cas. Comment tu as réussi à faire ça ?

 

OLIVIER : C'est plutôt mille histoires que j'ai vécue, on va dire, mais c'est aussi des histoires que j'ai vécue par d'autres. C'est l'époque du décès de mon grand-père, qui a un peu déclenché ce genre de choses. J'ai vu mon père au chevet de son propre père. Ça m'a touché. La relation père/fils était un sujet que j'avais envie de traiter.

 

Mais finalement, dans cette bande dessinée, le vieux con, c'est moi. Je m'étais posé la question de savoir comment on finit par devenir, en vieillissant, ce genre de personnage rongé de l'intérieur par des regrets, par des choses qui ne passent pas. Je ne sais pas trop comment ça fonctionne, donc j'avais besoin d'écrire pour faire une sorte de simulation. Quel personnage je serais si j'étais un type comme ça ? Et puis, le jeune homme, c'était plutôt Fred Salsedo, le dessinateur qui, à l'époque, était déjà plus jeune que moi. Mais surtout qui n’avait jamais voyagé en dehors de la France, alors que moi, j'avais déjà visité une vingtaine de pays différents. Donc, on n'avait pas du tout la même culture, la même expérience. Lui s'est glissé dans les pompes du jeune merdeux qui ne sait rien faire. Et moi, je me suis glissé dans les pompes du vieux con qui croit tout savoir.

 

BENJAMIN : Je trouve que cet album est un peu une métaphore de cette relation dessinateur et scénariste. En effet, le scénariste est parfois vu comme un vieux con. Et le dessinateur, lui, est parfois vu comme quelqu'un d'un peu lunaire.

 

FLORE : J'avais envie de poser une question à Jonathan : Bob Denard, c'est un biopic d'un salaud j’ai envie de dire. Chacun l'appellera comme il veut. Est-ce que ça, c'est atypique dans les biographies qu'on retrouve en ce moment en librairie ?

 

JONATHAN : On a effectivement de plus en plus d'histoires où on se dit qu’on n'est pas obligé d'aimer le personnage. Finalement, on n'est pas obligé de nous raconter l'histoire d'un gars qu'on est censé aimer de bout en bout. On peut nous raconter des histoires de personnages plus compliqués. En tout cas qui apparaissent frontalement comme des personnages très salopards et qui, finalement, sont plus compliqués que ça. Être humain, ce n'est pas juste tout noir ou tout blanc. Mais c'est vrai qu'aujourd'hui, avec le nombre de bandes dessinées qui sortent à l'année, et le nombre de sujets divers et variés, il est possible de raconter des histoires de personnages qu’on n’est pas censé aimer. On arrivera peut-être à la fin de l'histoire en disant qu’on n’a pas un affect particulier avec ce personnage et pourtant ça restera un bouquin qui marque les esprits et fait parler. Parce que justement, l'idée, c'est de faire parler du bouquin, peu importe qu'on aime ou non le personnage. L'important, c'est d'en parler derrière, et d’aimer le bouquin, évidemment. Mais on n'est pas obligé d'aimer le personnage pour aimer le livre.

« Assumons aussi qui nous sommes. »

 

 

OLIVIER : Si je peux rajouter un petit truc, c'est qu'il y a des personnages qui sont conçus pour permettre l'identification. Tintin, c'est typiquement un personnage presque vide dans lequel on peut se glisser pour jouer l'aventurier. D'autres personnages sont conçus pour développer l'empathie. L'empathie ça ne veut pas dire qu'on est d'accord avec tout ce que fait le personnage, qu'on s'attache ou des choses comme ça. C'est juste être dans un processus de compréhension, de prendre le temps d'essayer de comprendre. On ne se met pas dans son corps, mais dans ses chaussures et on fait un bout de chemin avec lui pour essayer de voir, comme tu viens de le dire Jonathan, que les choses sont un peu plus compliquées qu'on pourrait l'imaginer.

 

Moi, c'est ce qui m'importait dans ce bouquin c'était d'expliquer ce qui s'est passé et de ne pas me poser en juge. Je ne juge pas le personnage. Je juge plutôt l'Histoire et je juge notre histoire collective en tant que nation française. On parle beaucoup ces dernières années, de culpabilité, d'excuses, de conflits politiques assez importants. Moi ça m’intéresse de regarder les choses en face. Assumons aussi qui nous sommes. Parce que c'est qu'à cette condition qu'on aura la possibilité de faire les choses un peu différemment à l'avenir. C'est peut-être un peu naïf, mais en tout cas, c'est ce que j'espère.

Écoutez notre podcast avec Olivier Jouvray

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Vous pouvez retrouver l'intégrale de cette rencontre en podcast aux côtés de Flore Piacentino, bénévole du Lyon BD Festival, de Benjamin Laurent, fondateur du Studio Parolox, d'un(e) libraire de Lyon et d'un auteur de bande dessinée. Des Gones en Strip est un podcast en trois parties : la chronique du “portrait traboule” lance tout d’abord l’enquête sur la vie quotidienne de l’artiste, en lien avec son attachement à la ville... Elle nous conduit jusqu’à la découverte d’un extrait audio de sa bande dessinée, dans une version “lecture BLYND” portée par des comédien·ne·s et une ambiance sonore 3D. Pour en savoir plus sur l’œuvre écoutée, l’émission passe enfin la parole à un·e libraire lyonnais·e et à sa chronique “actu praline”, permettant d’échanger avec l’auteur·trice sur son travail de création.