Pour ce deuxième épisode aux côtés de Virginie Ollagnier, c’est Fabien de la librairie BéDétik qui est invité. Elle a été créée en 2007 et a déménagé pour s’agrandir Avenue Jean-Jaurès à Lyon, en août 2020. Le projet éditorial est penché sur les livres et les bandes dessinées historiques ainsi qu’autour des auteurs régionaux et locaux.

 

Alors pour commencer, pourquoi lire Nellie Bly ? En tant que libraire, tout simplement parce que vu la multitude de choses qui nous arrivent tous les ans, ce qui m’a attiré dans cette B.D. ce sont trois éléments. D'abord le sujet, pour moi Nellie Bly c’est une personnalité que j’ai rencontré à travers mes différentes lectures historiques. Le dessin ensuite et l’autrice Virginie enfin.

 

Je savais que Nellie Bly était l’une des pionnières du journalisme aux États-Unis à la fin du XIXe siècle et qu’elle avait une personnalité très particulière, surtout pour l’époque. En effet elle est née en 1864 et à l’âge de seize ans elle devient journaliste au Pittsburg Dispatch. En 1887 elle va à New-York. C’est là qu’on arrive sur sa première grande enquête en tant que journaliste d’investigation : elle va se faire interner pendant dix jours dans un hôpital psychiatrique. Ce grand reportage aura des conséquences, il va faire la Une de tous les journaux, va entraîner un retentissement jusque dans les différents asiles de l’époque, sur les méthodes qui pouvaient exister.

« Ce grand reportage (...) va faire la Une de tous les journaux »

 

 

Toute cette histoire est réellement bien construite avec un scénario, un dessin et une colorisation qui retranscrivent parfaitement l’ambiance. Au début du scénario on commence à lire l’histoire d’une femme on ne sait pas qui est Nellie ni ce qu’elle fait. C’est simplement une femme qui a l’air un peu folle et qui va se faire interner. La bande dessinée de Virginie Ollagnier est un biopic mais elle se lit comme un polar dans le sens où on avance petit à petit. Plus on avance la lecture plus on comprend les enjeux. Au départ personne ne nous dit que c’est une journaliste qui va se faire interner de manière volontaire. Ce que j’ai apprécié dans le scénario c’est que :  premièrement il y a des flashback qui sont très bien retranscrits grâce à la couleur notamment. Virginie a réussi à faire ressentir la mentalité de l’époque et pas seulement nous raconter une histoire. On ne ressent pas seulement ce que les femmes internées peuvent ressentir mais aussi ce que Nellie Bly a pu ressentir, l’impuissance qu’elle avait en étant non folle dans un asile, mais aussi celui du personnel. On voit que certains d’entre eux se comportent de manière presque sadique, inhumaine et c’est voulu. D’autres se sont fait happer par le système puisque ce sont les méthodes appliquées à cette époque. Et enfin ceux qui étaient contre, qui se retrouvent impuissants.

 

C’est donc un biopic qui n’en est pas vraiment un puisqu’on a de nombreux ressentis. De plus ils sont accentués par la colorisation, le dessin est très fluide, très bien adapté. Il nous amène dans l’imaginaire que j’ai du New-York de cette période. En plus il y a un bon rythme de lecture, malgré les flashbacks, on n’est jamais perdus. Carole, à travers sa couleur et son dessin, a réussi à retranscrire la folie en mettant en valeur des visages, des expressions, des émotions.

 

Cette période marque fortement la vie de Nellie Bly puisque c’est le reportage qui va la lancer au niveau du journalisme. Ça se lit plutôt comme un engagement parce qu’on se dit que : déjà être une femme à l’époque actuelle et avoir ce genre de tempérament ce n’est pas évident. Mais au XIXe siècle avec les contraintes sociales, sociétales et psychologiques qui pouvaient exister et bien mener la vie qu’elle a mené c’est ahurissant. Elle a fait preuve d’un courage extraordinaire. À mes yeux cette bande dessinée est un plaidoyer pour le droit d’être différent, d’être soi-même et pour la liberté de choix. Nellie était destinée à devenir soit dame de compagnie soit gouvernante. Elle, a choisi de devenir journaliste, métier qui était plutôt destiné aux hommes à l’époque.

« C'est un biopic qui se lit comme un polar »

 

 

BENJAMIN : Merci pour cette belle chronique. Virginie, est-ce que les intentions de la bande dessinée ont été bien analysées ?

 

VRIGINIE : Oui, sur l’aspect polar c’est exactement ce que j’ai voulu faire au départ. Le bouquin avant de l’écrire il faut le composer, comme une partition. Il faut créer un rythme et je me suis dit que j’allais en faire un roman policier. Avec une intrigue, un personnage qu’on suit, un dénouement. Finir cette analyse sur la liberté de choix, Nellie Bly ne l’a jamais eu. Elisabeth Cochrane (c’est son vrai prénom) va passer son temps à écrire, enquêter, essayer de vendre ses articles pour avoir gagner de l'argent. Jusqu’au moment où elle va se marier avec un industriel très âgé fortuné, il va finalement lui permettre de stabiliser sa situation financière. Donc le choix qu’elle a, c’est un choix de liberté tout en prenant en charge une partie de sa famille et ensuite s’imposer en tant que journaliste. À cette époque c’est compliqué mais elle espère rester la seule pour être différente. Finalement il y a d’autres femmes qui vont la rejoindre et donc elle va devoir faire des coups de plus en plus gros. Déjà le fait de se faire interner par choix, dans un asile. À ce moment-là on parle d’asile. C’est-à-dire un endroit où on met les « aliénés », ceux dont on ne sait pas quoi faire, qu’on drogue énormément, qu’on maltraite… C’est son premier choix important. Elle en fera un deuxième qui va être énorme pour relancer sa carrière : faire le tour du monde en 72 jours. Tout ça en allant voir Jules Vernes à Amiens.


Disons que le choix originel qu’elle fait c’est d’être une femme « auto suffisante ». Dans le journalisme et bien elle va le payer une bonne partie de sa vie à devoir faire de plus en plus de choses importantes pour continuer d’être remarquée. Elle sera une des premières journalistes de guerre en 1914 lorsqu’elle va derrière les lignes austro-hongroises pour rencontrer les Autrichiens qui vont attaquer la France.

Écoutez notre podcast avec Virginie Ollagnier

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Vous pouvez retrouver l'intégrale de cette rencontre en podcast aux côtés de Flore Piacentino, coordinatrice général du Lyon BD Festival, de Benjamin Laurent, fondateur du Studio Parolox, d'un(e) libraire de Lyon et d'un auteur de bande dessinée. Des Gones en Strip est un podcast en trois parties : la chronique du “portrait traboule” lance tout d’abord l’enquête sur la vie quotidienne de l’artiste, en lien avec son attachement à la ville... Elle nous conduit jusqu’à la découverte d’un extrait audio de sa bande dessinée, dans une version “lecture BLYND” portée par des comédien·ne·s et une ambiance sonore 3D. Pour en savoir plus sur l’œuvre écoutée, l’émission passe enfin la parole à un·e libraire lyonnais·e et à sa chronique “actu praline”, permettant d’échanger avec l’auteur·trice sur son travail de création.