FLORE : Virginie Ollagnier est née le 1er janvier 1970. Premier janvier, le jour de tous les renouveaux, 1970 la décennie de tous les vents joyeusement libertaires. Cela correspond tellement bien à l’image que je me fais de cette écrivaine lyonnaise, passionnée et engagée dont le premier scénario de bande dessinée porte sur l’histoire hors du commun de Nellie Bly qui, toute sa vie, a revendiqué sa liberté de journaliste. Nous avons la chance de l'accueillir aujourd'hui, dans les studio de BLYND. Aussi j’ai envie de te demander, chère Virginie, ce qui te fascine le plus dans le caractère de cette pionnière du journalisme d’investigation.

 

VIRGINIE : Son culot. C’est cette capacité de culot carrément incroyable qu’elle a : écouter sa propre colère aussi. C’est d’ailleurs ce qui va faire qu’elle va commencer à écrire. C’est la colère qui va la mettre en scène la première fois dans le Pittsburg Dispatch. Elle va être en colère après avoir lue une lettre d’un père qui ne sait pas quoi faire de ses filles : il ne peut pas les faire se marier, et il pense qu’il va devoir les garder chez lui et les nourrir toute sa vie. Nellie Bly a seize ans à ce moment-là. Elle va répondre à cet homme en lui disant « si vous aviez élevé vos filles comme des garçons, elles se débrouilleraient toutes seules ». C’est comme ça qu’elle rentre dans le journalisme. C’est ce culot et cette colère que je trouve formidables.

 

BENJAMIN : Le culot et la colère c’est ce qu’il faut pour être écrivaine ? 

 

VIRGINIE : Je ne suis pas sûre. En tout cas pas pour moi. Je n’écris pas en colère et je manquais énormément de culot. Par contre c’est nécessaire dans la vraie vie oui, ça permet d’entrer en contact avec les gens. C’est-à-dire qu’il faut aller au-delà de l’observation et avoir le culot de rencontrer les gens pour n’avoir non pas une impression, mais une expression.

« Si vous aviez élevé vos filles comme des garçons, elles se débrouilleraient toutes seules »

 

 

FLORE : Alors justement cette chronique : le portrait traboule, est en partie imaginé et les auteurs/autrices ont un droit de réponse. Si tu veux abonder ou réfuter certains faits racontés tu peux le faire. Dis-nous, est-ce que ta grand-mère aurait vraiment dit ça de toi ? 

 

VIRGINIE : Oui, bien pire d’ailleurs. Ma grand-mère est une femme qui est née en 1922, qui a passé une grande partie de sa vie seule avec quatre enfants, qui est en pleine forme mais qui a des sorties qui feraient hérisser les cheveux de n’importe qui. De notre côté elle nous fait éclater de rire. C’est une sacrée gonzesse ma grand-mère.

 

FLORE : Elle est née à Lyon ?
 

VIRGINIE : Non, elle est née dans le Vaucluse. Et a passé toute sa vie entre le Maroc et la France. Elle est rentrée en 1958. C’est une aventurière absolument incroyable.

 

BENJAMIN : C’est elle qui t’a donné le goût d’aller à l’aventure des mots ? De raconter des histoires ?

 

VIRGINIE : Je crois que de manière générale, c’est toutes les femmes de la famille, pas seulement ma grand-mère. Ma mère m'a donné cette envie puisqu’elle me racontait beaucoup de ses souvenirs. Elle est née au Maroc. Les premiers souvenirs qu’elle a : elle joue avec Orson Welles dans le jardin Ouarzazat pendant les tournages de... je ne sais plus quel film. Les femmes de ma famille m’ont transmise le goût de cette aventure, cet esprit de saisir l’aventure, des aventures des autres même parfois. C’est aussi le cas de Nellie.

 

BENJAMIN : Quel rapport tu entretenais à la lecture quand tu étais petite ?

 

VIRGINIE : J’avais un rapport très compliqué à la lecture parce que je suis une enfant dyslexique. Donc j’ai découvert mon impuissance quand je suis arrivée au CP. La toute-puissance de l’enfance s’est fracassée. Et là j’ai compris qu’il fallait travailler. Alors est-ce que cette dyslexie a fait de moi quelqu’un qui travaille énormément ? La réponse est oui. Les mots ne sont pas arrivés simplement, la lecture non plus. Un jour, je devais avoir entre dix et treize ans ma mère a débarqué dans ma chambre avec une cagette qui contenait l’intégrale de Maupassant, en me disant : « tu verras, Maupassant, c’est génial ». J’ai donc commencé à lire Maupassant et c’était absolument incroyable. J’ai découvert la lecture grâce à Guy. Je l’appelai comme ça, pour moi c’était un pote. C’était super parce que c’était un format adapté. Je suis rentrée dans l’écriture à peu près à ce moment-là.

« Les mots ne sont pas arrivés simplement, la lecture non plus »

 

 

FLORE : C’est étonnant que tu nous parles de Maupassant puisqu’il est connu pour parler de la folie avec Le Horla.

 

VIRGINIE : Absolument. Je crois que la folie est une expression facile pour les auteurs, je ne dis pas que c’est facile d’écrire la folie. Je dis que la folie se rapproche un petit peu des aventures étranges qu’on traverse en tant qu’auteur. Quand on écrit on est responsables, (en particulier dans la littérature) de la chronologie, de l’architecture, de l’histoire, des personnages mais aussi des tables, des chaises, du soleil, de la température de la peau, de la couleur des yeux... On est tout. Certains pensent qu’il y a un aspect extraordinaire à être dieu dans un livre. Personnellement je pense que c’est un moment de schizophrénie. Dans le sens où on se met au service de voix qui ne nous appartiennent pas complètement. C’est un peu étrange comme outils l’écriture. Je pense que la folie -on le voit au cinéma, au théâtre, ça apparaît parce que ça nous interpelle- c’est l’altérité dans le sens invisible. C’est-à-dire qu’on voit qu’une personne semble folle à son comportement, à son regard, ce n’est pas quelque chose qu’on voit de loin. Il faut parfois s’approcher de la folie pour voir qu’on est en face de quelqu’un qui n’est pas comme nous. Une dernière chose : la folie a évolué. On le voit, l’hystérie par exemple c’est quelque chose qui a été parfaitement inventé et qui se retrouve à vivre pendant des années dans le corps des femmes, dans la manière dont les femmes doivent se comporter. Une fois qu’on a fichu la paix aux femmes et bien l’hystérie en tant que maladie mentale n’avait plus tellement de support.

 

BENJAMIN : C’est sûr, l’hystérie n’a aucune réalité scientifique. Virginie, tu n’écris pas seulement des bandes dessinées puisque Nellie Bly est la première. Tu as aussi trois romans à ton actif que j’aimerais citer : Toutes ces vies qu’on abandonne, L’Incertain, et Rouge Argile toutes publiées aux Éditions Liana Levi. Est-ce que tu peux nous parler de ton projet littéraire et quel lien tu ferais avec la B.D. ?

 

VIRGINIE : Alors je ne suis pas sûre qu’il y ait vraiment un projet littéraire. Ce qui est nécessaire pour moi c’est une application dans le temps présent. Là, ce sont trois livres qui se passent avant, on est entre 1914 et 1979 environ. Par contre tous les thèmes sont très contemporains. Dans le premier j’avais très envie de parler du choc post-traumatique des hommes qui rentrent de guerre, à cause de la guerre du Golf. Il y a une deuxième chose qui m’intéresse c’est « l’affaire du voile » sur les cheveux des femmes et des filles. Tout le monde parle de ça tout le temps à la radio, et moi je suis dans ma salle de bain et je me suis dit « toutes les religions voilent les cheveux des femmes ». Alors je me suis dit il faut parler de la religion. Donc Toutes ces vies qu’on abandonne c’est cette rencontre entre deux centres d’intérêts qui sont vraiment important à cette époque pour moi. Donc le choc post-traumatique des hommes qui rentrent de guerre, ça sera mon soldat et les voiles sur les têtes de toutes les femmes ça sera le personnage de Claire. Tous les bouquins sont comme ça, disons qu’il y a des thèmes, des choses qui m’importent et qui sont portés à leur tour par des personnages.

« Quand on écrit (...) on est tout »

 

 

BENJAMIN : Alors je ne m’accroche pas à cette idée de projet littéraire mais finalement ce qu’on peut trouver de commun à tout ça c’est cette envie d’explorer le traumatisme peut-être, l’âme humaine, celle qui a un peu des aspérités ?

 

VIRGINIE : Alors bien sûr je ne vais jamais raconter ma vie bien heureuse avec Olivier Jouvray parce que ça fait trente ans qu’on est très heureux et ça, ça ne se raconte pas. Pour les bouquins je pars d’un thème, que ce soit le choc post-traumatique, la religion ou l’émancipation de l’altérité homosexuelle. Il y a aussi une histoire que j’avais envie de raconter c’est celle d’une femme qui est amoureuse d’un jeune homme et qui va vivre un temps avec lui avant qu’il décide de « faire sa vie ». Il y a aussi une femme d’une quarantaine d’années, dans Rouge Argile qui, à l’opposé de ma mère qui est née en France et y est très heureuse, est française au Maroc et qui vient d’hériter d’une maison mais qui ne trouve pas sa place en France. Elle est en permanence entre deux mondes et tous les personnages sont entre deux mondes. Toute la structure est double parce que ça m’intéressait comme exercice. J’adore me donner des intentions. Il y a donc ce rapport entre nos anciennes colonies, les personnes qui sont rentrées en France. Voir comment ces deux mondes qui se retrouvent ou, au contraire, ne se retrouvent pas.

 

FLORE : Tu es romancière depuis des années, parallèlement tu travailles aussi à l’atelier KCS qui est rempli d’auteurs de bandes dessinées. Est-ce que tu peux expliquer ce qu’est cet atelier ?

 

VIRGINIE : Il est né dans les années 99. Ça faisait déjà neuf ans que je vivais avec Olivier Jouvray. Son frère Jérôme et notre belle-sœur Anne-Claire sont venus à Lyon. On a donc décidé de monter un atelier. Donc nous étions quatre au début, maintenant nous sommes dix.

 

Écoutez notre podcast avec Virginie Ollagnier

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Vous pouvez retrouver l'intégrale de cette rencontre en podcast aux côtés de Flore Piacentino, coordinatrice général du Lyon BD Festival, de Benjamin Laurent, fondateur du Studio Parolox, d'un(e) libraire de Lyon et d'un auteur de bande dessinée. Des Gones en Strip est un podcast en trois parties : la chronique du “portrait traboule” lance tout d’abord l’enquête sur la vie quotidienne de l’artiste, en lien avec son attachement à la ville... Elle nous conduit jusqu’à la découverte d’un extrait audio de sa bande dessinée, dans une version “lecture BLYND” portée par des comédien·ne·s et une ambiance sonore 3D. Pour en savoir plus sur l’œuvre écoutée, l’émission passe enfin la parole à un·e libraire lyonnais·e et à sa chronique “actu praline”, permettant d’échanger avec l’auteur·trice sur son travail de création.