Pour ce sixième épisode l’équipe des Gones en Strip est accompagnée de Nicolas Petrimaux, auteur de la bande dessinée Il faut flinguer Ramirez et de Chris, libraire chez Comics Zone.

 

La librairie Comics Zone existe depuis dix ans et, comme le dit son nom, est spécialisée en comics. On fait tout ce qui est comics traduit en français, mais on fait surtout de l'import de comics américains qu'on a en direct des Etats-Unis en V.O. Donc ça nous fait une offre assez large. On a ouvert une boutique manga qui s'est ouverte en novembre dernier. Et puis, on rentre un petit peu plus de titres franco belge dont Il faut flinguer Ramirez entre autres.

 

BENJAMIN : Comment se porte le marché du comics en France ? On a toujours l’impression que c’est marché de niche.



CHRIS : Oui, totalement. Ça reste un marché de niche total, c'est-à-dire que certains titres vont surperformer : du Batman, du Superman, ça va très bien. En tout cas pour parler de DC comics et de Marvel, les comics de super héros. On a ponctuellement des titres qui vont surprendre. On a SAGA en titre de science-fiction qui est absolument géniale. Walking Dead à l'époque, qui s'est terminé maintenant, qui a porté le marché pendant très longtemps. Et maintenant, on est sur une pente pas molle parce qu'il y a encore des titres qui sont très bien, mais on ne dépasse pas une sorte de plafond de verre. Donc nous, à la boutique, ça nous va très bien. On est les seuls à être spécialisé sur Lyon, donc tout va bien pour nous, c’est super. En ce moment, les gens achètent de plus en plus de bandes dessinées, donc du comics, ça nous va très bien. Mais c'est vrai qu'on ne dépasse pas un certain stade.

 

BENJAMIN : Est-ce que c'est parce qu'on a l'impression que le Comics ça se réduit à Marvel ?

 

CHRIS : C'est encore le cliché qu'on peut avoir. Mais on en a des pas mal The boys par exemple. Il y a une adaptation en série télé qui a fait énormément booster les ventes. Et pour faire un lien avec Nicolas, Il faut flinguer Ramirez, qui est presque pensé en format Comics en termes de taille de page, fait partie de ces bandes dessinées européennes, françaises, entre autres, qui amènent un mélange du genre avec le manga en ce moment, avec d'autres auteurs, d’autres autrices qui fusionnent un peu tout ça. Les frontières ne sont plus exactement ce qu'elles étaient auparavant.

 

BENJAMIN : Chris, c’est parti pour ta chronique. Celle qui tache et surtout qui donne envie de lire.

CHRIS : Allez, on m'a donné deux minutes pour expliquer ce que j'aime dans Il faut flinguer Ramirez. Et deux minutes, ce n'est clairement pas assez pour énoncer tout ce qu'il y a de bien dans Il faut flinguer Ramirez. Tout est incroyable dans Il faut flinguer Ramirez. Par où je vais bien pouvoir commencer pour vous dire à quel point vous avez besoin de Jacques Ramirez et de ses aspirateurs dans votre vie ? Le concept de départ de Il faut flinguer Ramirez c'est des fusillades entre des gars à moustaches. Dans Il faut flinguer Ramirez vous aurez des tutos réparation d'aspirateur afin de ne pas avoir à remplacer votre électroménager de la sous marque Proline, acheté en solde en janvier 2020 et qui a déjà perdu environ 70% de sa capacité d'aspiration alors qu'il s'agit d'un sans sac et que les cents sacs ne devraient pas perdre leur capacité d'aspiration ! Mais bon, ça, c'est un coup de Darty pour vous faire acheter un autre aspirateur tous les ans. Ça va plus intéresser Elise Lucet que les fans de B.D., j'avoue. Il faut flinguer Ramirez est parsemé de fausses publicités dignes d'un Frédéric Beigbeder qui serait drôle. L'amour est aussi présent dans Il faut flinguer Ramirez. On y retrouve une Bonnie. On y retrouve une Clyde, en cavale. Et un Jacques Ramirez foutrement impacté par la perte de l'amour de sa vie. Et moi, je suis en train de flinguer mes deux minutes en prononçant à chaque fois tout le titre de Il faut flinguer Ramirez. Situation de crise ! Trouver une solution pour gagner du temps, je vais le passer en acronyme. Il faut flinguer Ramirez : IFFR. Quel gain de temps cet acronyme. J'aurais dû y penser avant. Il faut flinguer Ramirez c’est si long. IFFR c’est une incroyable succès story d'une entreprise d'aspirateurs dont la vie alterne aussi entre une infâme start-up de la Silicon Valley et l'effroyable monde où l'affreux et raciste Sanchez n'hésitera devant rien pour écraser Jacques. Dans Il faut flinguer Ramirez ce ne sont pas les méchants du cartel de drogue, les vrais méchants, c'est cet immense sac à merde de Sanchez. IFFR c’est deux tomes pour le moment et le troisième sera dantesque et ultime parce que ce sera le dernier. IFFR c'est de la belle voiture à foison que même si tu n'aimes pas les belles voitures, tu vas te dire : ah ouais, quand même, la 4L, c'est vraiment autre chose. Il faut que je trouve un autre moyen pour vous transmettre tout mon amour pour IFFR.

 

IFFR, c’est beau. IFFR c’est à couper le souffle. IFFR, c'est drôle. IFFR c'est un auteur qui donne tout. IFFR c’est de la bombe. IFFR c'est unique. Je pense qu'il vaut mieux que je m'arrête là.

« L'influence principale, c'est vraiment les films des années 80. »

 

 

NICOLAS : C'est superbe mais ce n'est pas une 4L, c'est une Super 5. Mais en tout cas c'est parfait, tu as même parlé de Darty !

 

BENJAMIN : Dans Il faut flinguer Ramirez, on voit clairement les références que tu peux avoir au cinéma, que tu peux avoir dans les jeux vidéo : il y a une référence à GTA non ?

 

NICOLAS : Je dirais que c'est une référence de second niveau. L'influence principale, c'est vraiment les films des années 80. C'est Die Hard, c'est L'Arme fatale, Le flic de Beverly Hills. GTA Rockstar ont fait un jeu vidéo où ce sont ces inspirations-là qui drivent toutes les missions, toute l'ambiance, etc. Tu retrouves des Soprano, tu retrouves du Breaking Bad. Dans toutes les séries qui ont marqué les vingt dernières années c'est un mélange de tout ça. Il y a une mission dans GTA où tu refais le casse de Heat.

 

BENJAMIN : Je reviens un petit peu sur ce que Chris disait. Tu as mélangé quand même le genre de la B.D. franco-belge et du Comics. Ça se voit un peu dans les orientations, dans les plans que tu choisis, dans la façon dont tu agences les cases. Avec ces cases où parfois, ça déborde un peu de partout. Il y a un agencement avec des inserts qu'on retrouve finalement assez peu dans la B.D. franco-belge. Quelles sont les bandes dessinées qui t'ont inspiré et qui ont permis de développer cette technique narrative ?

 

NICOLAS : Je pense qu'il y a des B.D. qui m'ont inspirées, mais pas pour ce projet-là. C'est-à-dire que c'est des inspirations qui sont digérées. Aujourd'hui, le cinéma a pris le pas sur la narration. Parfois, je fais des choses, dans le sens de lecture qui sont contraires aux tutos « comment lire une B.D. de gauche à droite » etc. J'en suis conscient mais je prends quand même un risque. Je me dis : est-ce que les gens ne vont pas être tentés de rester dans le schéma classique ?
 

Parfois il faut repartir dans la case de machin. Mais je tente le coup. J'essaye de faire en sorte que ce soit fluide, que les gens le prennent comme ça. Donc il y a des strips parfois qui se lisent à l'envers.

 

BENJAMIN : Est-ce qu'on peut vraiment parler de strips selon toi ?

 

NICOLAS : Oui, il y en a quand même. Mais c'est vrai que j'éclate les pages. Systématiquement il y a des cases qui débordent, qui sont dans la coupe du papier. Je crois qu'il n'y a aucune page de l'album où il y a un gaufrier classique, où il n'y a pas une case qui sort.

BENJAMIN :  Je n'ai pas de souvenir d'avoir vu un gaufrier.

 

NICOLAS : Il y en a un de base, mais quand je prends mon fichier, je trace, je découpe mes cases et puis ensuite j'agrandi tout. Je fais tout déborder. Je place mes bulles quand je fais évoluer la page, c’est ça ma technique. Le premier truc que je pose sur ma page, ce sont mes dialogues. Il n’y a pas de document écrit comme un scénariste le ferait : première case = machin truc. Moi, en gros, il y a : Ramirez retourne dans son bureau chercher l'aspirateur, mais son bureau est en flammes. Au dernier moment, il voit que clac, clac! Et puis ressort avec le carton sous le bras. C'est ça mon fichier de travail. Et ensuite, ça passe directement dans Photoshop où je pose, où j'écris directement mes dialogues. Et du coup, il change pendant toute la gestation de l'album. C'est-à-dire que je réécris à peu près deux fois, voire trois fois tous les dialogues de l'album. C'est en les plaçant dans la page que je définis le nombre de cases dont j'ai besoin pour raconter cette action.

 

CHRIS : Sur l'originalité de l'album en effet, quand j'en parle en boutique, quand j'en parle aux gens, je n'arrive pas à parler d'une autre bande dessinée qui serait un peu comme ça. C'est souvent ce qu'on fait en libraire : vous avez aimé ça ? Vous allez aimer ça ! Sur Ramirez, on parle de Tarantino, on parle de Edgar Wright, par exemple. C'est là que ça devient évident. Cette bande dessinée elle a un ton, elle a un format. Beaucoup de choses sont très originales sur cet album et finalement, il est même en train de lancer une vague de nouveaux albums, de nouveaux auteurs qui ont envie justement d'éclater les règles dont parle Nicolas à ce moment-là. C'est un premier jalon Ramirez. Entre mélanger des genres, mélanger des inspirations qui ne viennent pas que de la B.D.

 

BENJAMIN : Dans le mélange des genres Il y avait Jirō Taniguchi, qui avait commencé à faire un mélange manga / bande dessinée. Mais c'est vrai qu'on avait encore peu vu le mélange Comics / bande dessinée franco belge. Quels sont les auteurs dont tu parles qui commencent à arriver avec ce format-là, ce style-là ?

 

CHRIS : Chez Glénat, il y a Fabien Baduel et Patrice Perna qui viennent de sortir Valhalla Hôtel dans le ton, dans l'ambiance, dans le côté un peu trash. On a des auteurs et des autrices qui sont en train de s'approprier ça. Tu as parlé de Doggybags pour lequel tu as travaillé. Ankama bosse là-dessus depuis super longtemps. Il y a Mutafukaz ou The Grocery où l'action est omniprésente, mais on a des moments d'humour par-dessus. C'est logique, finalement, qu'on t’ait vu sur un Doggybags à un moment.

« Dans la bande dessinée, la tête de Céleste flotte parfois »

 

 

BENJAMIN : Je voudrais revenir sur quelque chose. Tu disais que tu n’écris absolument pas comme pourrait le faire un scénariste. Mais quand on voit la densité de l'album, le nombre de cases que tu vas pouvoir poser, le nombre d'illustrations par page, le nombre de pleines pages dans lequel tu vas mettre quelque chose qui est un peu comme un plan de coupe au cinéma... Comment tu fais pour ne pas avoir un document très carré, très précis, qui dit case par case ce que tu vas mettre dedans ?

 

NICOLAS :  Tout ça, en fait, c'est de la mise en scène, c'est hyper malléable. Pour moi, c'est un peu de la pâte à modeler. Cet aspect je le travaille beaucoup en fonction de plein de choses : les bulles, les textes, ce qui se passe évidemment, les onomatopées. J'essaye vraiment de faire un rail comme un roller coaster. Il y a des gens à qui ça n' a pas plu. Après c’est comme ça que j'aime raconter. Je ne maîtrise pas le temps comme au cinéma. Par contre, je maîtrise l'enchaînement des bulles et si on suit logiquement l'enchaînement des bulles, le regard va passer sur les trucs importants, que ce soit une onomatopée, un élément, un flingue qui est posé et que le lecteur est censé voir, etc.

 

J’essaye que ce rail-là soit hyper fluide et donc ça se passe vraiment au moment où c'est pas très beau, c'est même illisible. Il n’y a que moi qui comprend ce document. Ensuite, ça devient un peu plus traditionnel, c'est-à-dire que je pousse un peu mon dessin. Je l'encre, mais rien n'est figé à ce moment-là. Les dialogues peuvent changer complètement. Je pense en même temps que j'écris mon dialogue. Je fais un crobard que moi seul peut comprendre. Au début, j'essayais de montrer le storyboard à mon éditeur, il m'a dit : tu sais quoi ? Ne me montre pas ça parce que je ne comprends rien… Donc je lui ai montré quand j’avais tout fini.

 

Olivier Jalabert, mon éditeur, ne lit pas quand c'est terminé, mais il ne lit que des segments. Pour le premier tome, je lui ai fait lire l'épisode 1 en entier lorsqu'il était fini. Il a été pendant un an, voire un an et demi, sans lire quoi que ce soit. Puis, au bout d'un moment, il y a eu l'épisode 1.



BENJAMIN : Ce qui demande une sacrée confiance de sa part j'imagine.

 

NICOLAS :  Oui mais je crois qu'Olivier connaissait un peu mon parcours. On s'était croisés chez Ankama et à l'époque, je travaillais avec la structure éditoriale Café Salé. Je faisais plein de choses au sein de cette structure et en fait, il connaissait mon état d'esprit, etc. Il savait qu'il pouvait me faire confiance là-dessus. Même si je pense qu'il ne le dira jamais, il a eu un petit frisson parce qu'on a signé le projet et pendant quasiment un an, voire un an et demi, il ne s'est rien passé parce que j'étais en train de travailler sur Dishonored chez Ankama studio. Il se disait peut-être « Il va rester à faire ses jeux vidéo parce qu'il kiffe, en fait. » Mais non. Dès que la prod s'est arrêtée, j'ai directement enquillé sur le projet que j'avais soumis, qui était un truc très important pour moi.

FLORE :  Au-delà du storyboard et de toute l'action qui est menée et qui est bien découpée, il arrive d'un coup des pleines pages de publicités dans Il faut flinguer Ramirez. J'ai donc une double question. D'abord, Chris, on t’avait donné deux minutes pour faire ta chronique et tu as parlé de ces publicités, donc ça veut dire que tu les adores. Je voudrais savoir pourquoi tu les adores.

 

CHRIS : Elles font partie de l’ambiance. Tout Il faut flinguer Ramirez, et Nicolas le dit depuis le départ, est pensé de A à Z. Il met des fausses affiches de films et des publicités pour les aspirateurs. Le délire des aspirateurs c'est totalement unique. On n'a jamais vu un délire arriver comme ça, c'est hyper loin. En plus c'est poussé, c'est-à-dire qu'il n'y pas juste une blague : il bosse dans une entreprise d'aspirateur et c'est fini. Non, non ! Ça va aller beaucoup plus loin ! Les aspirateurs existent, ils ont une vie, on dirait les Nimbus 2000 de Harry Potter. Il y a des vannes de partout. Il y a des vannes dans les remerciements, il y a des vannes dans les faux génériques.

 

FLORE : Mais ces vannes ne sont pas seulement drôles. Il me semble que ces publicités sont une astuce magique où Nicolas se dit : Mince ! Là, il me faut une explosion. Je n'ai rien pour faire une explosion, je vais faire une pub où il va y avoir une voiture qui peut faire une explosion et je vais m'en sortir comme ça.

 

NICOLAS : Je vois de quelle pub tu parles et figure-toi qu'il y a du feu sur cette affiche. Et bien ce feu je l'ai ajouté quelques heures avant que cette page parte à l'impression. Pour expliquer ce qui s'est passé : on est dans les coulisses du scénario et je fais lire le bouclage du tome deux. Ça a été vraiment digne d'une saison de 24h chrono. Assez peu de sommeil, beaucoup de sollicitations de moi envers plein de gens, beaucoup de sollicitations de Glénat envers moi. Toujours est-il que je fais lire tout l'acte 2 à mon pote Sophian. Et son retour c’était : alors le moment où la voiture lâche une roquette, tu m'as perdu, j'ai décroché. Et je me suis dit : mais non, mais attends ! Je fusionne K2000 avec la voiture de Magnum, qui est une voiture culte de série, qui est la Ferrari Testarossa. C'est un récit de genre où c'est fun. Donc je me dis que ma limite, je la fixe où je veux et donc je me dis : Ben ouais ! Une voiture K2000 dans l'univers des années 80 à la con, ça passe. C'est juste que lui, il me dit que ça sort de nulle part. Alors je lui explique qu’il y a une pub qui explique que c'est un char d'assaut la voiture. Il me répond qu’il n’a pas lu la pub alors qu'elle est hyper importante. Toujours est-il que pour cette pub de voiture, je me suis dit qu’il fallait que je trouve un élément pour que les gens se disent : what the fuck ? C'est quoi cette caisse ? Pourquoi il y a des flammes autour ?

 

CHRIS : Il arrive quand le tome 3 ?

 

NICOLAS : Il y aura bien un tome 3 qui clôturera la série. Après, je me garde la possibilité de surprendre le lecteur d'une certaine façon, mais je ne peux pas en dire plus.

Écoutez notre podcast avec Nicolas Petrimaux

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Vous pouvez retrouver l'intégrale de cette rencontre en podcast aux côtés de Flore Piacentino, coordinatrice général du Lyon BD Festival, de Benjamin Laurent, fondateur du Studio Parolox, d'un(e) libraire de Lyon et d'un auteur de bande dessinée. Des Gones en Strip est un podcast en trois parties : la chronique du “portrait traboule” lance tout d’abord l’enquête sur la vie quotidienne de l’artiste, en lien avec son attachement à la ville... Elle nous conduit jusqu’à la découverte d’un extrait audio de sa bande dessinée, dans une version “lecture BLYND” portée par des comédien·ne·s et une ambiance sonore 3D. Pour en savoir plus sur l’œuvre écoutée, l’émission passe enfin la parole à un·e libraire lyonnais·e et à sa chronique “actu praline”, permettant d’échanger avec l’auteur·trice sur son travail de création.